Une amie que ne vous veut pas que du bien

Elle est informe, incolore, inodore, inapparente, seules les conséquences de son étreinte sont saisissables. Elle est pernicieuse, paradoxale, elle peut naître de l’inaction, d’une trop grande liberté d’action ou de l’exacte inverse. Elle vous rempli la boîte crânienne comme un gaz rempli un espace clos, elle se diffuse lentement, se faufile dans les interstices, les fissures, elle rouille les mécanismes cérébraux, brouille les communications internes, les signaux d’erreurs clignotent, ça y est, vous en êtes conscient, panique à bord, mais il est presque trop tard, elle a déjà jetée l’encre. Il faut débrancher, laisser le système se reposer, mais la prise est introuvable, vous étiez persuadé de savoir où elle était pourtant. Elle épuise comme aucune autre épreuve physique, elle met en place un simulacre de fatigue, une mauvaise fatigue, sans endorphine, une fatigue mentale qui trompe le corps et le contamine, vite il faut dormir, réparer les maux par le sommeil, mais elle vous murmure à l’oreille constamment, vous empêchant de flotter doucement vers les rêves, le cercle vicieux est en train de se clore car se forcer à trouver le sommeil revient à vous demander de ne pas penser à l’éléphant rose, l’obsession devient aliénante et plus le sommeil vous tourne le dos, plus elle se pavane et s’étale de tout son long, tout devient calvaire. Elle a pris les manettes, vous n’êtes plus que spectateur de son manège. Le présent n’est plus, vous errez dans un passé regrettable ou dans un futur aussi trouble qu’une mer après de fortes pluies, le cercle est clos, elle vous a attiré petit à petit dans un coin empli de noirceur, calfeutrer, terrer dans son cocon où vous n’avez rien d’autre à faire que de penser, penser et penser encore. Des pensées semées dans votre esprit comme le blé à la Saint-Barbe, il a germé et saturé votre psyché sans vous prévenir, un blé démuni d’espérance, garni de détresse. Cauchemar des hédonistes, des eudémonistes, des optimistes, cauchemar de tous, son seuil de toxicité est très, trop, faible. Elle aura été au moins moteur de l'écriture de ces lignes, cette anxiété.