
En contrebas dans la vallée, Luchon est enssevelie sous une épaisse couche de brume. D'ici, on croirait que le reflief est posé sur du coton. Il est 8h30, le soleil est déjà levé. Nul besoin de détourner le regard, il n'éblouit pas, les nuages diaphanes dispersent sa lumière. Il n'est qu'un halo blanchâtre sans forme distincte pour le moment. Ca y est, ses premiers rayons viennent réveiller les cimes les plus proches du ciel, la neige qui y séjourne devient plus éclatante, le contraste avec la noirceur de la roche s'accentue. Bientôt, les forêts et les villages seront frappés de cette lueur. La montagne sera éveillée.


A mes côtés, une croix. La croix de Garin, c'est son nom, simple et efficace. Une poutre de bois plantée à 1626 mètres d'altitude avec au deux tiers de sa hauteur, une autre poutre plus courte qui s'y niche perpendiculairement. Un tas de cailloux à sa base lui assure une meilleure stabilité et fait office de promontoire. Elle paraît insignifiante vu du village qu'elle surveille, mais ne vous y trompez pas, elle est plus imposante qu'elle n'en à l'air.
Si vous souhaitez la contempler de près, il faudra payer un tribu calorifique. Seuls ceux qui vaincront leur cagnardise auront le privilège de la toucher. Elle est comme la banderolle que déchire le vainqueur d'une course sur la ligne d'arrivée, comme la médaille qui récompense. Une médaille immobile et immuable, à la portée de qui veut bien venir la chercher. L'effort fourni pour grimper à son altitude demeurerait identique s'il elle n'avait pas été là, mais l'arrivée n'aurait pas la même saveur.



Face à elle se dresse les stigmates de l'union complexe et brutale entre l'Espagne et la France. Elle tient tête, entre autre, au pic d'Aneto, l'apogée des massifs frontaliers, l'ultime récompense pour le pyrénéiste. C'est le massif de la Maladeta qui lui offre son socle. Maladeta, le nom paraît pernicieux, son glacier irrigue pourtant l'artère fémorale de la France, celle qui a transporté les cendres de Nougaro jusqu'au coeur atlantique, la Garonne.
Je suis assis sur une pierre plate, le dos accoté contre le symbole religieux. L'ensemble constitue un siège semblable à la banquette au milieu d'une pièce de musée où est accrochée une peinture trop imposante pour notre champ visuel. On s'asseoit et on balaye du regard avec de légers mouvements de tête pour saisir l'oeuvre au complet. Je m'éfforce de capter ce que j'ai sous les yeux, mais cette chaîne pyrénéenne est une peinture bien vaste qui nécéssiterait que je réhausse mon siège de quelques kilomètres si je désire en savourer l'entièreté.
